Patronat des transports : le pouvoir de la force

Tract de la CNT Travail & Affaires sociale d’Auvergne-Rhône-Alpes, janvier 2021

Le patronat n’aime pas qu’on le contrôle. Jusque-là rien d’original. Le patronat des transports ne déroge pas à la règle et s’est toujours montré particulièrement efficace pour imposer un droit du travail dérogatoire. Pour ceux qui ne connaissent pas la réglementation spécifique des transports, et pour ne prendre que deux ou trois exemples, sachez que travailler 56h par semaine pour les conducteurs longue distance, c’est légal ; un repos quotidien réduit à 9h c’est légal ; lisser les heures supplémentaires sur trois mois sans accord d’aménagement du temps de travail, c’est légal.

Obtenir un droit du travail ultra dérogatoire ne suffit pas, le patronat des transports s’est toujours fortement opposé à la mise en œuvre d’outils de contrôle. Si les véhicules de +3.5 T sont équipés de chronotachygraphe depuis un certain nombre d’années dans le cadre de l’Union Européenne, les différents syndicats du patronat des transports (SNTL, FNTR, TLF, OTRE, etc.) se sont toujours fortement opposés à ce que ce dispositif soit généralisé aux véhicules de -3.5T.

Cette opposition s’est concrétisée par la possibilité d’horaires dits de service (une simple feuille déclarative remis par l’employeur au salarié en cas d’horaires soitdisant fixes) ou la mise en place d’un LIC (Livret Individuel de Contrôle), rempli par le salarié et censé retranscrire à la main les mêmes informations que celles contenues dans les chrono sur les différents temps réalisés dans la journée. Tout le monde (agents de contrôle comme salariés conducteurs) sait que le LIC est une vaste plaisanterie. A tel point qu’il est nommé « le petit menteur » dans le milieu. Soit il n’y en a pas, soit ils ne sont jamais remplis, soit ils sont remplis de façon totalement fictive et a posteriori pour les besoins du contrôle. La plaisanterie étant de notoriété publique, un projet de fiabilisation partielle des données a fini par voir le jour à travers la mise en place d’un outil numérique dénommé « MOBILIC » à remplir par le salarié au cours de sa tournée.

Le patronat des transports, comme toujours, mène un lobbying intense sur le sujet auprès du pouvoir politique en réussissant le tour de force d’expliquer que le LIC est « impraticable », « obsolète », tout en refusant bien évidemment la généralisation des chrono aux -3.5T. Le dernier courrier/rapport des syndicats patronaux sur le sujet auprès de la nouvelle ministre du travail, Madame BORNE, en date du 18 juin 2020, vient pleurer, une fois de plus, sur les amendes qui leur seraient infligées par l’inspection du travail, les juges qui rejetteraient trop souvent la notion d’horaire de service invoquée par les employeurs, sur l’inapplicabilité du LIC à la messagerie, etc. Et de revendiquer d’abroger le LIC tout en estimant « inutile d’envisager un dispositif aussi complexe et coûteux que le chronotachygraphe ».

Ces mêmes « syndicats » savent manifestement se faire entendre auprès de notre administration.

Ainsi, récemment, un rapport pour amende administrative a été présenté au sein de l’U.R. ARA. pour absence de LIC. En effet, suite à un contrôle, des collègues ont rédigé un rapport en vue d’une amende administrative pour absence de LIC. Mal leur en a pris, ils venaient de contrôler le président du SNTL, Hervé STREET, co-auteur du rapport susmentionné…

Et notre administration de valider dans sa décision l’argumentaire de l’employeur consistant à dire que le LIC n’est pas adapté à l’activité de messagerie (allant jusqu’à reprendre mot pour mot certaines expressions du rapport patronal dans sa décision), de valider également le mode de décompte de la durée du travail mise en place par l’employeur : à savoir des feuilles d’heures pré-remplies par le chef d’équipe et signées par les conducteurs. Il faut rappeler que la forme même du LIC et les mentions devant y figurer sont pourtant strictement réglementées par arrêté. A cet égard un modèle est même annexé à l’arrêté prévoyant sa création (annexe II de l’arrêté du 20 juillet 1998). Mais pour le Pôle T des feuilles d’heures pré-remplies par le chef d’équipe et même non signés par certains conducteurs satisfont à la réglementation. Il n’y a pas d’infraction : circulez ya rien à voir !

Le sujet est remonté à la DGT qui a notamment répondu :

«- Si le document qui remplace le LIC ne contient pas toutes les mentions obligatoires du LIC, la constitution du manquement est à l’appréciation de l’agent de contrôle, confirmant ainsi la tolérance admise au regard d’une part de l’inadéquation du LIC dans certains secteurs (messagerie, déménagement) et d’autre part de la prochaine dématérialisation du LIC (phase de transition) ».

Comprenez : des faux LIC manifestement fabriqués pour les besoins du contrôle et sans rapport avec le modèle réglementaire n’équivalent pas forcément à une infraction pour absence de LIC, il y a une marge d’ « appréciation ». L’ « appréciation » est hypocritement laissée à l’agent de contrôle mais dans les faits, c’est le pôle T qui décide et « apprécie » en relevant ou non une amende administrative. Et ce, au nom d’une toute nouvelle « tolérance admise au regard de l’inadéquation du LIC dans certains secteurs ». Tolérance toute patronale, dont nous venons d’apprendre l’existence en tant qu’agents de contrôle et qui vient donc d’être validée par la DGT.

La boucle est bouclée. Un bien bel exemple de lobbying réussi s’il en est !