Politique du chiffre & entretiens d’évaluation

La stratégie de marchandisation capitaliste de l’ensemble des activités peut s’appliquer aux services publics de différentes façons tout en obéissant aux mêmes logiques fondamentales :

  • La première attaque, et la plus visible, est celle consistant à privatiser purement et simplement l’entreprise publique et changer ainsi son statut. Que cette privatisation soit totale ou par « ouverture partielle du capital » ne change rien sur le fond puisque le statut de l’entreprise change et que le principe de valorisation marchande et l’application de critères de rentabilité vont s’appliquer de la même façon.
  • Une deuxième façon d’attaquer est de progressivement démembrer une activité en sous-traitant et « externalisant » une partie des activités « annexes » ou « supports » et de supprimer des postes pour les métiers qui restent dans le secteur public. Les activités externalisées en question seront alors considérer comme accessoires par rapport au « cœur de métier ». Plus fondamentalement il s’agit surtout, et encore une fois, de privatiser tout ce qui peut être rentable et de maintenir dans le giron public ce qui ne l’est pas tout en le réduisant au minimum. Dès lors si l’entreprise ne change pas officiellement de statut elle se trouve peu à peu démembrée et réduite à la portion congrue.
  • La troisième façon d’attaquer est ce qu’on pourrait appeler une privatisation de l’intérieur par l’application des techniques managériales du privé au sein même du service public. Il s’agit là, non d’une valorisation directement économique de l’activité (par la vente d’un service), mais plutôt d’une modification profonde du sens de l’activité par l’ intégration des valeurs du capitalisme (au sens éthique, façon de se comporter) et de la théorie du capital humain. L’intégration de l’idéologie managériale permet et accompagne ainsi une modification de l’organisation du travail et des critères de production et de réalisation du service.

Ces trois stratégies ne sont bien sûr pas exclusives les unes des autres, elles doivent cependant être distinguées en théorie pour bien comprendre ce qui nous arrive. Et notamment comprendre que l’application de la logique capitaliste ne se réduit pas forcément et immédiatement au passage à une logique de profit économique.
C’est dans le cadre de la troisième stratégie et de l’imposition d’une culture managériale qu’on peut situer la politique du chiffre que vient incarner notre CAP SITERE préféré et les entretiens individuels d’évaluation qui se sont généralisés comme outils de gestion.

Concernant la politique du chiffre

Si notre travail, en tant qu’il n’est pas directement soumis à un échange marchand, ne produit pas de profit économique ; la politique du chiffre qui nous est quand même appliquée a pour fonction de singer les critères de rentabilité et de valorisation capitalistique du travail pour justifier notre activité, et en quelque sorte s’excuser d’exister encore comme activité de service public, cad comme « coût pour la société ». Il faut ainsi être « productif », « atteindre des objectifs » et « valoriser » notre activité : ce qui signifie produire du chiffre et communiquer autour.
La question n’est pas alors d’être réellement rentable puisque nous ne vendons pas une prestation (du moins pas encore pour ce qui nous concerne dans notre ministère) mais de vouloir l’être et de le montrer, de faire montre de bonne volonté auprès de la hiérarchie et au-delà du pouvoir politique et économique. Et accessoirement de donner une justification à la baisse continue des effectifs en intensifiant le travail par le biais du pression aux chiffres.
La justification du travail n’est plus dans la qualité du service rendu et l’ampleur de la demande sociale mais dans la justification capitaliste du maintien de notre activité selon des critères abstraits de rentabilité symbolique et de productivité.
D’où l’inflation de bilans, de plans, de reportings, de valorisation, de compte-rendus et d’aperçus chiffrés et bien sûr d’évaluations alors même que les moyens alloués à notre travail tendent à diminuer du fait de la RGPP.
Au nom du passage d’une culture de moyens à une culture du « résultat », la révolution managériale réussit ainsi le tour de passe de passe extraordinaire de mettre en scène un « résultat » par la production de chiffres tout en oubliant la question quantitative des moyens au nom de la qualité du travail.
La boucle est bouclée.

Concernant l’évaluation

Les techniques d’évaluation individualisée des performances sont un des instruments privilégiés de cette révolution managériale. On passe ainsi d’une culture juridique du contrôle de régularité au management par objectifs dans une culture du résultat. L’évaluation est censée indiquer si les objectifs sont atteints avec sanction ou gratification à la clef. Ce faisant, et sous le paravent idéologique d’une mesure « objective » du « mérite » individuel, l’évaluation suscite une compétition des agents et est une redoutable arme de division des personnels et d’intensification du travail.
Cette évaluation est étroitement liée à la politique du chiffre et à la mise en place d’indicateurs comptables. L’évaluation abstraite se substitue à la discussion autour du travail bien fait qui renvoie immanquablement au travail réel et à des jugements de valeur autour du sens du travail.

Motion : cap sitere ou tout autre logiciel à la con du même genre

La CNT combat la politique du chiffre comme destructrice du sens de notre travail en tant que service public, destructrice de nos collectifs de travail par la mise en concurrence des agents, et participant à l’invisibilisation et au mensonge sur le travail réel.
La CNT s’inscrit dans tous les mots d’ordre de boycott des remontées chiffrées comme moyen de pression et de lutte collective.
Au-delà, et en dehors d’un contexte de lutte collective, la CNT fixe au minimum un « tarif syndical » à ne pas dépasser afin d’éviter la mise en concurrence individuelle et de ne pas participer au mensonge sur le travail réel.

Motion : entretiens individuels d’évaluation

La CNT dénonce le caractère pathogène des entretiens individuels d’évaluation de performance conçu comme outil de soumission à la logique managériale du capitalisme.
Notamment,

  • la destruction des collectifs de travail par la mise en place d’une compétition individuelle.
  • L’individualisation consistant à faire supporter à chaque agent la responsabilité de ses conditions de travail.
  • la déconnection entre le travail réel et une évaluation quantitative abstraite.
  • Le lien entre l’évaluation et la relation hiérarchique et ses conséquences en termes de sanction et aliénation à la reconnaissance hiérarchique

Néanmoins le travail ne saurait se passer d’une évaluation prise dans son le plus général. Tout ne se vaut pas et chacun est amené, consciemment ou non, à évaluer en permanence son travail, dans un rapport à soi et aux autres.
La critique portée contre les entretiens individuels des performance peut, de ce point de vue, porter en creux ce que pourrait être une évaluation légitime pour nous :

  • Une évaluation déconnectée du lien hiérarchique.
  • Une évaluation déconnectée de l’abstraction quantitative.
  • Une évaluation non centrée sur l’individu.

En gros une évaluation démocratique, organisée par une discussion collective autour des règles de métier.