Refus de parvenir

Motion adoptée au congrès 2022 de la Fédération CNT TEFP

Argumentaire :

Le « refus de parvenir » a été au début XXe siècle un mot d’ordre du syndicalisme enseignant, de l’anarchisme et plus particulièrement du syndicalisme révolutionnaire. Plus précisément la paternité de la formule « refuser de parvenir » revient à Albert Thierry, instituteur et pédagogue, proche du syndicalisme révolutionnaire qui le définit comme un refus « de vivre et d’agir pour soi et aux fins de soi ». Il est et demeure un mot d’ordre inspirant ceux qui refusent les dominations hiérarchiques.

Cette antienne prend le contre-pied de l’injonction à réussir de nos sociétés capitalistes et de l’idéologie néo-libérale qui l’accompagne. Car qu’est-ce que la « réussite » selon l’idéologie néo-libérale, si ce n’est entrer dans la compétition pour se hisser au dessus des autres et au détriment des autres. La face cachée de la réussite est faite de soumissions présentes aux critères de la promotion et à ceux qui détiennent le pouvoir de l’octroyer (ex : politique du chiffre, mensonges sur le travail réel, servilité vis-à-vis du chef, attitude non collaborative vis-à-vis des collègues) pour de futures dominations. En un mot elle est l’autre nom d’un arrivisme maquillé en méritocratie. Ainsi certains en viennent à revendiquer en son nom un « droit individuel à la carrière »

Face à cette vision individualiste et mortifère de la réussite, refuser de parvenir c’est d’abord refuser de gravir les échelons et de se compromettre avec le pouvoir en écrasant les autres et pour exercer une domination sur les autres. De ce point de vue, le pendant du refus de parvenir individuellement est la volonté de parvenir collectivement, c’est-à-dire la promotion d’un syndicalisme de lutte de classes et d’émancipation sociale.

Principe éthique et politique, principe de régulation de l’action, nous estimons que ce mot d’ordre est toujours d’actualité et mérite d’être repris par notre syndicalisme au sein de nos métiers et de notre secteur d’activité.

A cet égard le refus de parvenir peut trouver également un nouvel éclairage à travers la notion de « bullshit jobs » telle que développée récemment par David Graeber1. Bullshit jobs qui se sont développés partout et notamment dans l’administration des services publics alors même que ceux-ci sont exsangues.

Ainsi refuser de parvenir c’est non seulement refuser de gravir les échelons pour exercer une domination sur les autres au sein de notre travail, mais, peut-être encore plus fondamentalement, c’est vouloir préserver le sens de notre travail, là où l’idéologie managériale le détruit de l’intérieur.

Motion :

La CNT-TEFP fait sien le mot d’ordre du « refus de parvenir », comme principe éthique et politique de régulation de son action syndicale.

La CNT-TEFP, dans la lignée de ses précédentes orientations, continue de revendiquer un service public au service des travailleurs.

La CNT-TEFP, intégrant le principe du refus de parvenir à ses revendications internes, ne revendique pas de « droit individuel à la carrière ».

La CNT-TEFP porte des revendications égalitaires et collectives en termes de promotion salariale, d’organisation et d’amélioration des conditions de travail, toujours en lien avec le sens du travail et des métiers exercés

1 David Graeber en donne la définition suivante : « un job à la con est une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé de faire croire qu’il n’en est rien ». Dans les différents type de Bullshits jobs nous retrouvons « les larbins », « les porte flingue », « les rafistoleurs », « les cocheurs de case », « les petits chefs ». Bien entendu un bullshit job peut recouvrir l’ensemble de ces types (ex : un petit chef larbin et porte flingue, rafistoleur du travail réel et cocheur de case).